23/02/2011

Femmes et hommes

Est-ce que vous vous êtes aperçu à quel point il est rare qu'un amour échoue sur les qualités ou les défauts réels de la personne aimée ? [Jacques Lacan]            Extrait de Séminaire





Mma Makutsi a laissé croire à son fiancé, Phuti, qu'elle était féministe et elle s'inquiète maintenant.
"Mma Makutsi rentra chez elle de bonne heure cet après-midi-là. Elle expliqua à Mma Ramotswe qu'elle avait le repas de Phuti Radiphuti à préparer et qu'elle tenait à ce qu'il fût délicieux. Mma Ramotswe trouva l'idée excellente, ajoutant qu'il serait également judi­cieux de reparler du féminisme avec lui.
- Tranquillisez-le, conseilla-t-elle. Expliquez-lui que vous n'êtes pas de ces femmes qui ne le laisse­raient pas en paix une seconde. Que vous êtes quelqu'un de très traditionnel, dans le fond.
- Entendu, répondit Mma Makutsi. Je vais lui montrer qu'il n'a pas à s'inquiéter, que je ne serai pas là à le critiquer à longueur de journée.
Elle se tut et contempla Mma Ramotswe, qui lut alors sur son visage une pénible douleur. Aussitôt, la compassion envahit Mma Ramotswe. Pour elle, les choses étaient différentes : elle avait épousé Mr. J.L.B. Matekoni et se sentait en sécurité. Mais si Mma Makutsi perdait Phuti Radiphuti, elle n'aurait plus rien d'autre que la perspective d'un dur labeur pour le restant de ses jours, à tenter de subsister avec le maigre salaire qu'elle récoltait et le petit supplé­ment que lui rapportait l'École de dactylographie pour hommes du Kalahari. Cette école représentait une bonne source de revenus additionnels, mais l'obligeait à travailler si dur qu'il ne lui restait presque plus de temps pour se reposer.
     De retour chez elle, Mma Makutsi prépara le dîner avec le plus grand soin. Elle mit une grosse marmite de pommes de terre à bouillir et un épais ragoût de bœuf à mijoter, auquel elle ajouta carottes et oignons. Ce dernier dégageait un délicieux fumet ; elle y plon­gea l'index pour le goûter. Cela manquait un peu de sel, mais une fois l'assaisonnement rectifié, c'était par­fait. Elle s'installa alors pour attendre Phuti Radiphuti. Celui-ci arriverait à sept heures et il était six heures et demie, aussi feuilleta-t-elle un magazine, mais sans parvenir à se concentrer, durant la demi-heure restante.
À sept heures et demie, elle se posta à la fenêtre et, à huit heures, elle marcha jusqu'à la grille pour obser­ver la route. Il faisait chaud et l'air portait de lourdes odeurs de cuisine et de poussière. De la maison voisine parvenaient le bruit de la radio ainsi que des éclats de rire. Elle sentit le frôlement d'un insecte sur sa jambe.
Elle remonta l'allée jusqu'à la porte, entra, s'assit sur le sofa et fixa le plafond. Je suis une fille de Bobo­uong, se dit-elle. Je suis une fille de Bobonong avec (les lunettes. J'avais trouvé quelqu'un qui acceptait de m'épouser, quelqu'un de très gentil, mais je l'ai fait finir avec ma manie de parler à tort et à travers. Maintenant, je me retrouve de nouveau seule. Voilà l'his­toire de ma vie. L'histoire de Grace Makutsi."

In : 1 cobra, 2 souliers et beaucoup d'ennuis, d' Alexander McCall Smith 2007

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Mma makutsi essaie maintenant de paraitre moins féministe car son fiancé Phuti Raphuti n'est pas venu manger chez elle la veille. Elle accompagne le mari de sa patronne dans le magasin de Phuti Raphuti.


Mma Makutsi, qui n'avait presque rien dit depuis l'arrivée de Phuti Radiphuti, prit la parole :
- Il est très important pour un homme d'être bien assis, annonça-t-elle. Avec toutes les décisions importantes qu'ils ont à prendre, les hommes doivent avoir de bons fauteuils dans lesquels réfléchir. C'est en tout cas ce que j'ai toujours pensé.
Cette déclaration faite, elle jeta un coup d'oeil à la dérobée à Phuti Radiphuti, puis regarda ses chaussu­res. Elle s'attendait presque à voir celles-ci la contredire, lui reprocher cette soudaine entorse à ses convictions profondes, selon lesquelles c'étaient les hommes qui prenaient les décisions importantes pour les hommes, de façon subtile et sans rien en laisser paraître. Elle avait eu d'innombrables conversations avec Mma Ramotswe (sa patronne) sur ce point, et les deux femmes étaient toujours tombées d'accord. Et voilà qu'à présent elle suggérait lâchement que c'étaient les hommes qui, assis dans de confortables fauteuils, dis­posaient en maîtres de leurs choix.  Elle fixa un bon moment ses chaussures, qui gardèrent le silence, abasourdies, sans doute, par la soudaineté de sa volte­face.
Phuti Radiphuti regardait Mma Makutsi, souriant comme un homme qui vient de faire une découverte agréable.
- C'est vrai, dit-il. Mais tout le monde a droit à un bon fauteuil. Les femmes également. Elles aussi doivent réfléchir à beaucoup de choses importantes.
Mma Makutsi fut prompte à acquiescer.
- Oui, mais même si tu me trouves peut-être un peu vieux jeu, j'ai toujours pensé que les hommes sont particulièrement importants. C’est comme ça que j’ai été élevée, je n’y peux rien, tu comprends…
Le sourire de Phuti Raphuti parut s’élargir encore à cette remarque.
-        J’espère que tu n’es pas trop traditionnelle dans tes idées, tout de même, dit-il. Les hommes modernes n’aiment pas tellement ça. Ils apprécient que leur épouse ait son propre point de vue.
-Oh, j'ai mes idées, c'est sûr ! affirma Mma Makutsi en toute hâte. Je ne suis pas du genre à lais­ser les autres réfléchir à ma place.
- C'est b... b... bien, répondit Phuti Radiphuti.

In : 1 cobra, 2 souliers et beaucoup d'ennuis, d' Alexander McCall Smith 2007



 

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